Les informations démographiques sont fondamentales pour la planification et la gestion des programmes sociaux, en particulier des services de santé. Les sites de surveillance du réseau INDEPTH existants se limitent à la couverture des populations sédentaires. L’inclusion des populations nomades dans cette approche serait coûteuse, chronophage et sans doute peu précise. On sait très peu de choses sur la démographie des éleveurs nomades et de leurs animaux, voilà pourquoi des approches innovantes sont requises de toute urgence.

Nous avons réalisé une étude pour tester et évaluer un système de surveillance démographique mobile pour les ménages d’éleveurs nomades, comprenant des troupeaux de bétail, en utilisant des téléphones portables. Des campements d’éleveurs nomades ont été surveillés, dix pendant 12 mois et dix pendant 18 mois, grâce à des appels téléphoniques deux fois par semaine aux chefs de camp et à leurs épouses afin de mener des entretiens au sujet des ménages et du bétail. Les informations recueillies ont été validées par des visites de terrain, des données GPS et un modèle démographique du bétail.

La méthode

On a demandé à chaque chef de camp d’éleveurs nomades s’ils étaient d’accord pour prendre part à cette étude. Après son accord initial, et conformément aux usages, le chef de camp a désigné quel troupeau inclure dans l’étude, le sien ou celui d’un de ses fils.
Un troupeau de campement a été défini comme un groupe d’animaux régulièrement gardés ensemble, comprenant souvent plusieurs foyers étroitement liés. Les troupeaux de campement comprenaient du bétail, des chèvres, des moutons, des chameaux, des ânes, des chevaux et des poulets, bien que toutes les communautés participantes soient essentiellement des éleveurs de bétail. Le troupeau de campement désigné, ainsi que les ménages auxquels appartenaient les animaux concernés, ont été inscrits dans la cohorte.
Un foyer a été défini comme étant les personnes qui mangent et vivent ensemble. Habituellement, chaque femme détient son propre foyer, donc le mari n’a été comptabilisé que dans le foyer de sa première femme.

Après l’inscription, toutes les deux à quatre semaines, un entretien téléphonique a été mené, d’abord avec le chef de camp ou le chef du troupeau de camp concerné, qui a fourni des informations sur le troupeau, puis avec son épouse qui a fourni des informations sur les membres de la famille de tous les foyers concernés. L’implication des hommes et des femmes dans l’étude était primordiale pour obtenir davantage d’informations complémentaires. Si l’épouse n’était pas disponible, la totalité de l’entretien était menée avec le participant masculin. Les entretiens ont été menés dans la langue locale de chaque groupe ethnique ou en arabe tchadien, puis les données ont été traduites en français afin de remplir les questionnaires.

Après chaque entretien téléphonique, 1 000 FCFA (environ 2 dollars US) ont été transférés sur le téléphone du participant à titre de modeste compensation pour sa participation. Le montant du transfert a été doublé lorsque l’épouse participait également à l’entretien, ce qui constituait une mesure incitative efficace ayant entraîné une importante participation des femmes.

Les appels téléphoniques ont été émis à partir d’un village central de la zone, où se trouve le marché hebdomadaire, souvent fréquenté par les éleveurs nomades. L’enquêteur était un agent de santé bien connu des éleveurs. Il a pris rendez-vous avec les participants avant chaque entretien téléphonique, puis il les appelait quelques jours avant le rendez-vous pour le leur rappeler.
Cette approche a produit un respect élevé du processus, car les participants ont fait de gros efforts pour assister aux entretiens, en grimpant même aux arbres ou en se rendant dans des endroits proches avec une couverture réseau fiable

Éleveurs tchadiens, Gredaya Falls.

© Christian Heuss

Lors de chaque entretien téléphonique, l’emplacement du camp et la distance parcourue depuis le précédent emplacement ont été oralement indiqués. La description narrative de l’emplacement a été transférée sur une carte Google Earth™ surdimensionnée, à une échelle de 1:25 000 de la zone d’étude. La résolution a permis d’identifier visuellement les villages et les emplacements des campements ont été identifiés et géo-références Les emplacements ont été validés lors de visites sur le terrain, lorsque les positions ont été enregistrées avec des appareils GPS. La distance entre la position signalée et la position réelle a été calculée à l’aide d’ArcMap 9.2, qui a également été utilisé pour la visualisation des itinéraires.

Au cours des entretiens, des données ont été recueillies quant à la présence ou l’absence dans le campement de chaque membre de la famille, ainsi que sur le nombre de femmes enceintes, de naissances et de décès. Étant donné que les communautés n’enregistraient pas toujours précisément les dates de naissance des bébés, l’ensemble des dates de naissance ont été estimées comme étant la date médiane entre deux entretiens consécutifs.

Pour le bétail, les participants ont été interrogés sur la structure du troupeau, les naissances, les décès, les ventes et les achats d’animaux, ainsi que les animaux pris ou confiés à d’autres éleveurs. Les données sur le bétail ont été validées en interne et recoupées entre les questionnaires.
Des données ont été recueillies sur le bétail, les chèvres, les moutons et les chameaux, réparties par sexe et groupe d’âge (moins de 1 an, 1 à 2 ans et 2 ans et plus). Pour le bétail, les mâles castrés utilisés pour le transport des marchandises ont également été comptabilisés.
On a supposé que l’âge du premier vêlage des bovins était de 3 ans, ce qui a imposé d’inclure un facteur d’ajustement pour estimer le nombre de femelles âgées de plus de 3 ans. Les femelles âgées de 1 à 3 ans étaient définies comme génisses. Des données ont également été recueillies sur les ânes, les chevaux (tranches d’âge jeune et adulte) et les poulets. Les informations ont été recueillies sur des questionnaires papier.

Les données ont été saisies à deux reprises à l’aide de Microsoft ^TM Access, comparées à l’aide du programme Epi Info^TM Data Compare 3.5.1 et nettoyées. Le logiciel Stata IC 10.1 a permis de réaliser une analyse statistique. Les logiciels ArcGIS 9.3 et Quantum GIS 1.8.0-Lisboa ont permis de réaliser une analyse géospatiale. Un modèle démographique du bétail, réalisé à partir des données cumulées des entretiens, a été généré à l’aide de Vensim version 6.0. Les paramètres ont été optimisés sur la base de la qualité d’ajustement en comparant la probabilité logarithmique du modèle en cours avec la probabilité logarithmique d’un modèle parfait, avec un nombre de paramètres égal au nombre de points de données.
Les données sur les génisses de plus de 3 ans ont été ajustées avec un facteur d’ajustement, puisque les données recueillies comprenaient l’ensemble du bétail âgé de plus de 2 ans. Les taux de natalité ont été calculés pour chaque sexe et les taux de variation nette pour chaque sexe et tranche d’âge.

Tous les membres des camps ayant participé qui ont signalé une maladie ont eu recours au personnel de santé local lors d’une visite sur le terrain au moins une fois au cours de l’étude. À cette occasion, une consultation et un examen gratuits ont été fournis à tous les membres présents du camp, et tous les médicaments nécessaires ont été fournis à faible coût aux patients. En outre, un service d’urgence pour les problèmes médicaux et vétérinaires a été créé, qui se poursuit à ce jour.
Lorsqu’une urgence sanitaire se produisait, les participants pouvaient téléphoner à un agent de santé local du village central, qui se rendrait ensuite dans leur camp. Grâce à un système de partage des coûts, les participants ont payé tous les médicaments nécessaires, tandis que le projet de surveillance démographique a payé les frais de transport du personnel de santé.

Cette méthode a prouvé sa pertinence pour la surveillance par téléphone portable des campements d’éleveurs nomades. Elle a permis de fournir des informations exploitables et valides sur les structures de la population humaine et animale, les résultats des grossesses et la dynamique des troupeaux, ainsi que les schémas de migration. L’approche a été peu coûteuse et applicable avec les ressources locales existantes.
Nous en avons conclu que la surveillance démographique des populations nomades est possible à l’aide des téléphones portables. Nous avons recommandé que le système à petite échelle soit étendu à un système de surveillance démographique entièrement mobile, ce qui permettrait d’améliorer la planification et la prestation des soins de santé humaine et animale.

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Références (en anglais)

Jean-Richard, V. et al. (2014). The Use of Mobile Phones for Demographic Surveillance of Mobile Pastoralists and their Animals in Chad. Proof of Principle, in: Global Health Action 7, 1-11.

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