APPROCHES ÉCOSYSTÉMIQUES DE LA SANTÉ ET RÉSUMÉ DU COURS

6.9

La rage canine peut-elle être éradiquée en Afrique ?

Il faut plus qu’un simple vaccin pour éliminer la brucellose. De nombreux processus comme la surveillance systémique et la participation du public sont également nécessaires. Le texte qui suit apporte des précisions sur les composantes de l’élimination d’une pathologie One Health.

Justification

La lutte contre la brucellose par la vaccination de masse du bétail et les tests et abattages qui s’ensuivent est efficace et, de cette façon, la brucellose a été éliminée dans plusieurs pays. Pourtant, la lutte contre la brucellose stagne, voire réapparaît dans de nombreuses régions du monde, notamment en Afrique et en Asie. Selon le contexte, la nature intersectorielle de la brucellose impliquant la faune sauvage, le bétail et les êtres humains exige une approche systémique intégrée lorsqu’on vise l’élimination. Toutefois, les secteurs de la santé publique et animale fonctionnent de façon trop séparée l’un de l’autre. Alors que la recherche pour mettre au point de meilleurs vaccins est urgente et en cours, la lutte et l’élimination de la brucellose n’est pas simplement un problème fonctionnel. La lutte contre la brucellose et son élimination constituent un défi scientifique par la complexité des processus impliqués et la manière dont ces processus contribuent aux propriétés fondamentales de la biologie de la brucellose. Du point de vue des mathématiques matriciels, une intervention de brucellose visant l’élimination peut être considérée comme une perturbation majeure conduisant à un état d’équilibre exempt de pathologie. Les différentes composantes de la science d’élimination de la brucellose impliquant tous les acteurs de la santé publique et animale sont présentées ici.


Éléments d’une science d’élimination de la brucellose


** Biologie des agents pathogènes dans le système socio-écologique** Avant de mettre en œuvre les activités de lutte et d’élimination de la brucellose, il faut connaître les principaux réservoirs et leur dynamique de population. La dynamique de population des hôtes réservoirs détermine directement le nombre effectif de reproduction (Re) de transmission de la brucellose et de persistance de la transmission (Racloz et al. 2013). En raison d’une longue période d’incubation, le rôle de la dépendance de la densité et des réseaux de contact dans la transmission de la brucellose n’est pas bien compris et nécessite des recherches complémentaires. En Mongolie, le nombre effectif de reproducteurs a été estimé à 1,2 chez les petits ruminants et à 1,7 chez les bovins et une couverture vaccinale de 80 % a été recommandée pour la campagne de vaccination de masse 2000-2010 (Zinsstag et al. 2005a).

Une étude récente en Mongolie a montré que depuis la fin de la période socialiste en 1990, le cheptel de chèvres, de bovins et d’ovins a évolué de différentes manières. Notamment, le cheptel caprin a fortement augmenté car le cachemire était la principale source de revenus monétaires. Cependant, toutes les races de bétail ont subi de lourdes pertes lors des tempêtes de neige de 2001 et 2009. Le quasi-doublement du cheptel mongol a très probablement contribué à l’inefficacité de la campagne de vaccination de masse (2000-2010) car le nombre de vaccinations n’a pas été suffisamment ajusté pour tenir compte du nombre croissant d’animaux (Shabb et al. 2013). La forte séroprévalence de la brucellose humaine en 2012 indique que la transmission de la brucellose en Mongolie se poursuit, de sorte qu’une nouvelle campagne de vaccination de masse a été lancée, pour laquelle la couverture vaccinale atteinte est maintenant systématiquement évaluée (Tsend 2014).


** Déterminants sociaux et engagement du public
Les interventions efficaces contre la brucellose reposent sur d’importantes conditions publiques favorables. Les services vétérinaires tant publics que privés doivent être dotés d’un personnel suffisant et être en mesure de couvrir le domaine d’intervention. Il faut des capacités de laboratoire humaines et vétérinaires suffisantes, ainsi que la capacité de caractériser les souches bactériennes isolées. La mise en place de systèmes de lutte qui reposent sur des tests et l’abattage nécessite un financement public suffisant pour indemniser les agriculteurs pour les animaux abattus et un environnement relativement dépourvu de corruption. Par-dessus tout, un consensus sociétal est nécessaire, qui ne peut être atteint qu’en incluant tous les acteurs dans des processus de participation dits ‘transdisciplinaires’ (Hirsch Hadorn et al. 2008). Grâce à ce processus, toutes les parties prenantes concernées contribuent à identifier les actions prioritaires qui devrait créer un climat de confiance entre elles (Schelling et al. 2007).

Surveillance systémique**
La compréhension de l’écologie de la pathologie permet d’identifier les interventions ayant le plus d’effet. À cette fin, des études transversales conjointes entre l’animal et l’être humain donnent un aperçu de la fréquence des pathologies chez les principaux hôtes réservoirs et peuvent indiquer la principale source d’infection humaine. Dans une étude représentative réalisée au Kirghizistan, la séroprévalence humaine était significativement liée à la séroprévalence chez les ovins, mais pas chez les caprins et les bovins (Bonfoh et al. 2012).

Ces études doivent être complétées par des études d’épidémiologie moléculaire pour déterminer les voies de transmission et les hôtes réservoirs. Dans l’exemple du Kirghizistan, les souches brucella melitensis ont été isolées principalement chez les ovins, quelques-unes chez les bovins mais aucune chez les caprins. Hélas, les autorités sanitaires kirghizes ont refusé de partager les souches humaines, ce qui aurait permis de documenter les sources des souches humaines (Kasymbekov et al. 2013). De plus, les tests de dépistage sont très souvent mal validés.

Des travaux analytiques bayésiens récents ont permis d’estimer la séroprévalence réelle pour plusieurs tests de diagnostic sans étalon-or (Durr et al. 2013). Outre la validation du test de diagnostic, le manque flagrant de tests de diagnostic dans les centres de santé publique de district contribue à une énorme sous-déclaration de la pathologie. Les autorités mongoles ont récemment adopté un test modifié au rose bengale pour confirmer le diagnostic humain dans les centres de santé de district.


Cadres de modèles mathématiques : dynamique de transmission
La modélisation mathématique de la dynamique de transmission de la brucellose aide à suivre l’efficacité des interventions (Zinsstag et al. 2005a). Ces modèles constituent l’ossature de l’analyse économique des interventions (Roth et al. 2003) et peuvent être utilisés pour évaluer les interfaces entre l’animal et l’être humain. Dans cet exemple, il peut être démontré que brucella melitensis semble être plus facilement transmissible aux êtres humains que brucella abortus. En Mongolie, la constante de transmission des petits ruminants à la population humaine était 13 fois plus faible que celle entre les petits ruminants, c’est-à-dire qu’un petit ruminant infecté a infecté 13 autres petits ruminants avant qu’une personne ne soit également infectée. En supposant que les bovins étaient principalement infectés par brucella abortus, la constante de transmission des bovins à l’humain était 165 fois plus faible que celle entre les bovins. Ces résultats se font encore très rares et doivent être évalués plus en détail (Zinsstag et al. 2015).

L’analyse mathématique d’une intervention d’élimination fournit un outil pour valider les propriétés fondamentales de la dynamique de transmission comme la population seuil en dessous de laquelle la transmission de la brucellose est interrompue. Pour le système d’élevage en Mongolie, nous avons estimé que la densité seuil pour interrompre la transmission était de 1,2 (min. 0,6 ; max.8) vaches/km2 et pour les petits ruminants, elle était d’environ 6,8 (min. 4.5; max. 21) petits ruminants/km2 (Racloz et al. 2013). Les modèles mathématiques de brucellose doivent être associés à la caractérisation moléculaire des souches par séquençage complet pour traiter le risque de réintroduction dans une zone auparavant exempte de brucellose.


** Efficacité de l’équité **
L’efficacité d’une intervention est un processus multiplicatif plutôt que cumulatif : par exemple, le produit de l’efficacité du vaccin multiplié par la couverture obtenue. La couverture, en d’autres termes, le pourcentage d’animaux réellement couverts par une vaccination de masse, est déterminée par la disponibilité, la facilité d’accès, le caractère abordable, l’acceptabilité et l’adéquation du vaccin. En outre, elle dépend de la conformité du prestataire de services et de l’adhésion du propriétaire de l’animal à la vaccination de masse (Obrist et al. 2007). Pour comprendre les déterminants de l’efficacité d’une intervention, il faut une étroite collaboration interdisciplinaire entre, notamment, la biologie vaccinale, la recherche des systèmes de santé, l’économie de la santé, les sciences sociales et culturelles et la santé animale. Même si tous les facteurs d’intervention ont un rendement relativement élevé, ils sont tous liés les uns aux autres de façon multiplicative (Zinsstag et al. 2011a).

Cela peut mener à une très faible efficacité communautaire, qui descend en dessous du seuil permettant d’interrompre la transmission de la brucellose. Néanmoins, la compréhension détaillée des facteurs d’intervention est essentielle à la réussite de l’intervention (Zinsstag et al. 2011b). Comprendre l’efficacité d’une intervention est un élément essentiel de la science de l’élimination de la brucellose. De nouveaux modèles quantitatifs de l’efficacité des interventions devraient permettre d’identifier les facteurs d’efficacité les plus sensibles, qui doivent être exploités pour qu’une intervention soit couronnée de succès.

De nos recherches sur l’élimination de la rage canine dans les villes africaines et la lutte contre la brucellose en Mongolie, nous avons appris que le surveillance et l’évaluation de la couverture vaccinale sont avant tout un élément essentiel pour le suivi d’une intervention efficace. Souvent, les principes de base de l’échantillonnage aléatoire proportionnel à la taille ne sont pas compris et il ne suffit pas que les évaluations de la couverture vaccinale soient uniquement réalisées sur les troupeaux vaccinés. Une compréhension épidémiologique de base est essentielle pour réaliser de façon efficace une campagne de vaccination de masse. Les données sur la couverture vaccinale, c’est-à-dire le pourcentage d’animaux effectivement vaccinés, associées aux données épidémiologiques de séroprévalence sur le terrain et aux données de séquençage des souches isolées peuvent être utilisées pour valider l’efficacité de l’intervention telle que prévue par les modèles mentionnés ci-dessus (Zinsstag et al. 2005a).


** Méthodes d’intervention **
Le choix des méthodes d’intervention dépend de la prévalence de la pathologie et des fonds disponibles. Il est bien établi que la vaccination de masse du bétail est recommandée dans des contextes où la séroprévalence de la brucellose est supérieure à 1% (Zinsstag et al. 2012). En deçà, une méthode de test et d’abattage est recommandée, selon laquelle les animaux séropositifs seraient abattus après un échantillonnage systématique. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la plupart des pays en développement ne seraient pas en mesure d’indemniser les agriculteurs pour les animaux abattus et que les niveaux actuels de corruption ne permettraient probablement pas de mettre en œuvre efficacement de tels programmes. Les méthodes d’intervention doivent être soigneusement analysées dans un contexte politique et socio-économique donné.

Les analyses économiques intersectorielles fournissent une perspective sociétale qui pourrait mener au partage des coûts d’intervention entre, notamment, les secteurs de l’élevage et de la santé publique (Roth et al. 2003). Pour parvenir à l’élimination, de nouveaux instruments de financement pourraient être examinés, comme les obligations à impact sur le développement (DIB) qui sont actuellement étudiées aux fins de l’élimination de la maladie du sommeil (trypanosoma brucei rhodesiense) en Ouganda. Dans le cas des DIB, les risques sont partagés entre les gouvernements nationaux, les donateurs institutionnels et les investisseurs privés (Zinsstag et al. 2007). Un autre précédent est l’élimination réussie de la peste bovine qui pourrait être relancée pour l’élimination de la brucellose du bétail, ne serait-ce que dans les zones où les réservoirs de faune sauvage sont négligeables.


La voie à suivre

L’élimination de la brucellose est également possible dans les pays en développement. Elle nécessite avant tout un consensus sociétal sur des questions comme les modes d’indemnisation ou de compensation qui ne devraient pas être décidés de manière arbitraire par les propriétaires de bétail. Les exemples réussis d’élimination de la maladie montrent que tous les acteurs doivent être impliqués dès le départ, car ils jouent tous un rôle important. Plus précisément, les secteurs de la santé publique et de la santé animale devraient collaborer aussi étroitement que possible (Zinsstag et al. 2015, Zinsstag et al. 2005b).

Des approches régionales, impliquant par exemple la Mongolie, la Chine et la Russie, seront également requises pour traiter les questions de transmission transfrontalière et, ainsi, la lutte contre la brucellose apporterait probablement une contribution pratique importante permettant d’instaurer la confiance et de consolider la paix. La science proposée pour éliminer la brucellose ne se suffit pas à elle-même, elle devrait s’inspirer d’autres initiatives, comme la technologie d’éradication du paludisme ou la technologie d’élimination de la rage (Zinsstag 2013).

D’autres orientations pourraient viser à associer, par exemple, la vaccination de masse contre la brucellose et l’échinococcose. On pourrait également réfléchir à un ensemble de mesures adaptées localement aux exploitations extensives, incluant la rage canine, l’échinococcose, la brucellose, le charbon et la fièvre aphteuse. La brucellose peut être éliminée, mais nous devons tous collaborer de manière systémique et fondée sur des preuves.




Références (en anglais)

Bonfoh, B. et al. (2012). Representative Seroprevalences of Brucellosis in Humans and Livestock in Kyrgyzstan, in: Ecohealth 9(2), 132-138.

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Hirsch Hadorn, G. et al. (2008). Handbook of Transdisciplinary Research, London, Springer.

Kasymbekov, J. et al. (2013). Molecular epidemiology and antibiotic susceptibility of livestock Brucella melitensis isolates from Naryn Oblast, Kyrgyzstan, in: PLoS Neglected Tropical Diseases, 7(2), e2047.

Obrist, B. et al. (2007). Access to Health Care in Contexts of Livelihood Insecurity: a Framework for Analysis and Action, in: PLoS medicine 2007, 1584-1588.

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Shabb, D. et al. (2013). A mathematical model of the dynamics of Mongolian livestock populations, in: Livestock Science, 157, 280-288.

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Zinsstag, J. (2013). Towards a Science of Rabies Elimination, in: Infectious diseases of poverty 2(1), 22 pp.

Zinsstag, J. et al. (2012). It’s time to control brucellosis in Central Asia, in: Bonfoh, M. A. a. B., (ed.) Evidence for policy series, regional edition Central Asia,Bishkek, Kyrgyzstan and Abidjan, Côte d’Ivoire, 1-4.

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Zinsstag, J. et al. (2015). One Health. The Theory and Practice of Integrated Health approaches, Wallingford, CABI.

Lizenz

Université de Bâle